ANALYSE DU PARCOURS ANTÉRIEUR ISABELLE BASSET, PSYCHOLOGUE CLINICIENNE DOCTEURE EN PSYCHOLOGIE CLINIQUE OCTOBRE 2023 Ce cours est composé de six demi-journées. Il offre une possibilité de questionner sa trajectoire pour mieux cerner cette orientation vers le travail social. D’une première journée de présentation de soi, nous interrogerons progressivement l’implication intime que demande le champ du social. De nos jours, le parcours professionnel est constitué de changements. Avec l’instabilité du marché de l’emploi, mais aussi avec le droit à la formation tout au long de la vie, la réorientation est devenue une norme. L’Université est un lieu de transmission de savoirs, d’indifférenciation. L’idée de commencer cette licence par un retour réflexif sur son propre parcours permettrait de soutenir le processus d’individualisation, en étant attentif à chacun (dispositif particulier de la LPIPS). L’analyse aboutira à la production d’un écrit personnel et confidentiel qui constituera une trace de cette année particulière. EXERCICE DE PRÉSENTATION : 1ère journée En binôme par tirage au sort. L’un va se raconter à l’autre. Les origines, le parcours, le pourquoi de cette formation et la projection dans l’avenir (15 mn X 2). Restitution de l’histoire de l’autre auprès du groupe. Le sujet de l’histoire peut compléter ou revenir sur des moments particuliers du parcours raconté. Je fais un retour et peut poser des questions. RETOUR SUR LES PRÉSENTATIONS : 2ème journée (matin) En une phrase ou deux (à formuler et à écrire), pouvoir expliquer cette orientation/attrait/choix du travail social. Définir un « fil » d’existence. Comment cette première semaine de cours a-t-elle été vécue ? Quelles impressions et attentes vis-à-vis de la théorie ? Projet de stage ? Quelles impressions et attentes vis-à-vis du groupe ? ARGUMENTATION THÉORIQUE : 2ème journée (après-midi) Les premières lignes du texte (le travail social ou l’art de l’ordinaire) de David Puaud, éducateur spécialisé : On dit de nous qu’on a la fibre, une vocation, une éthique, des croyances, des valeurs, ou autres convictions. Nous serions également humanistes, empathiques, bienveillants, ou bien proches des gens. D’ailleurs certains dans notre entourage nous prédestinaient à exercer ce métier : « il a toujours eu le sens de l’écoute, déjà tout petit. » Ces mots, expressions en tant qu’entraidants que l’on soit travailleur social, bénévole associatif, membre d’un collectif de soutien à des sans-papiers, nous les avons tous entendus maintes fois exprimés par nos proches. Ils nous valorisent mais paradoxalement nous mettent souvent mal à l’aise. De manière générale, nos interlocuteurs ne perçoivent pas véritablement la teneur de nos activités quotidiennes. On nous demande régulièrement : « mais tu fais quoi au juste avec ces personnes ? Mais vous avez des résultats ? » Nous avons la plupart du temps des difficultés à décrire les raisons de notre pratique. Au final, la conversation se termine sempiternellement de manière identique : « Je ne sais pas comment tu fais ! Moi je ne pourrais pas ! Vraiment vous avez du courage, il en faut des gens comme toi ! » Comment comprendre le choix de devenir travailleur social ? La première réponse, c’est la volonté d’aider les autres. Mais pour mieux comprendre ce choix, il est important de commencer par savoir d’où l’on vient. Parler de vocation, c’est une croyance que l’on peut assimiler à une démarche religieuse. Il apparaît pourtant que nombres de travailleurs sociaux, avec l’idée de « sauver les autres », cherchent à se sauver eux-mêmes. D’où la nécessité, au départ d’une telle démarche, d’être bien au clair avec ce choix, et de l’inscrire dans une notion de trajectoire, avec des enjeux personnels, familiaux, sociaux et même politiques. Il s’agit donc de les mettre à jour pour pouvoir se positionner subjectivement, en s'appuyant sur son propre rapport au monde, sur sa sensibilité spécifique et sur ses idéaux. Peut-on aussi interroger la fonction même du travailleur social ? N’est-il pas un agent du maintien de l’ordre ? Comment penser l’actuelle organisation sociale ? Avec les apports de la sociologie, cette licence devrait apporter des réponses sur ce point. Enfin, nous pouvons nous demander pourquoi les travailleurs sociaux s’intéressent autant à la souffrance humaine ? Xavier Bouchereau (2012, chap. 7 p. 159-174) nous éclaire en soulignant l’instauration d’une relation de dépendance entre le professionnel, l’usager et sa souffrance. Il dit d’abord qu’aider l’autre n’est jamais un acte gratuit. Il rappelle que tout don est soumis au contre-don et que si nous offrons notre aide, nous attendons forcément quelque chose en retour. C’est une règle universelle (voir Marcel Mauss en général ou Paul Fustier pour le travail social). La souffrance de celui qui s’en remet au travailleur social serait stimulante et réparatrice. Elle provoquerait une certaine jouissance (partielle et inconsciente) et comblerait un manque chez le travailleur social qui l’accueille. « Dans une certaine mesure, les usagers nous sont indispensables parce qu’ils nous aident à croire que nous le sommes également. Que deviendraient-ils sans nous ? » (p. 163). Cette utilité est narcissisante puisque nous existons dans le regard de l’autre, surtout si l’on s’identifie à la figure du sauveur (parfois même contre la volonté du « sauvé »). Il compare cette emprise protectrice à la toute-puissance du parent vis-à-vis du jeune enfant (dépendant), d’où notre tendance à parfois infantiliser la personne accompagnée et à nous inscrire dans un rapport de domination. « De la même manière que certaines mères s’accaparent goulûment leur enfant comme unique moyen d’être au monde, il existe des professionnels pour qui l’aide concédée aux usagers est investie d’une charge narcissique si lourde que la relation d’accompagnement bascule dans l’appropriation. Ce sont leurs familles, leurs situations, leurs souffrances. » (p. 165). Enfin, Xavier Bouchereau remarque que la souffrance de l’autre permet de masquer nos propres souffrances puisqu’elles sont relativisées face aux situations extrêmes que nous rencontrons. Afin de protéger les usagers du risque de souffrir d’une relation insécure, il propose que les travailleurs sociaux puissent, grâce à la réflexion, développer une « éthique de l’implication ». « Les gens que j’ai rencontrés me touchent c’est indéniable, leurs souffrances résonnent en moi, c’est un fait, brouillent-elle pour autant ma pensée ? Mon implication émotionnelle m’empêche-t-elle de poser un regard professionnel et d’attraper le noyau rationnel des choses ? M’empêche-t-elle de poser des actes éducatifs rigoureux, de déplier des « savoir-faire » techniques adaptés et opérants ? Je ne crois pas, je peux même, sans trop craindre de me tromper, affirmer le contraire. » (p. 214) S’il remarque que la « bonne distance » est un mythe, il observe que l’on peut quand-même interroger notre relation à l’autre, sa qualité et surtout notre posture vis-à-vis de l’autre, en l’ajustant (être impliqué ou distancié) en fonction de notre réflexion. L’implication affective est inévitable, au contraire, les émotions sont très importantes, tout comme l’empathie, mais notre réflexivité et notre capacité d’analyse peuvent permettre de les réguler. Pour faire face à cette part émotionnelle impliquée par la rencontre avec des personnes en situation de vulnérabilité, il s’agit de pouvoir donner du sens à notre travail, mais aussi de pouvoir identifier nos émotions en lien avec notre propre fonctionnement psychique. Dans cette optique, la gestion des émotions devient une compétence du travailleur social. Faire taire ses émotions, ne pas les reconnaître et même ne pas les évoquer implique sur le long terme une situation de dissonance émotionnelle génératrice d’épuisement. Notre démarche d’accompagnement à la construction d’une nouvelle identité professionnelle croise les apports théoriques de la licence qui permettront aux étudiants en intervention sociale de développer leur réflexivité et leur pensée éthique. Ses objectifs : ==> Processus d’individualisation : comprendre le temps de formation comme un temps de « latence identitaire » (Negroni, 2013) qui consiste à se séparer de nos expériences passées pour s’engager dans celles de l’avenir ; ==> Faire un travail sur soi indispensable lorsque l’on se destine à aider les autres ; ==> S’assurer que votre orientation vers le social est bien un choix personnel et non le produit d’une détermination sociale (décider de sa vie en dehors des modèles, être sujet de son histoire) ; ==> Donner une place dans sa trajectoire à d’éventuels pans du passé non résolus ; ==> Réduire l’anxiété liée à la notion d’avenir et aux représentations que l’on se fait du métier de travailleur social ; contrer la perte de repères de la formation (nouveaux apprentissages qui bousculent les croyances et les a priori) ; ==> Un travail personnel au service du projet professionnel : se distancer de son vécu et de sa problématique actuelle ; ==> Écrire son parcours comme un instrument de réflexivité : renforcer une dynamique déjà engagée et un nouveau positionnement identitaire. CLINIQUE DE LA FAMILLE : Partons du principe que nous sommes tous issus d’une famille et que celle-ci a influencé la construction psychique de l’adulte que nous sommes devenus. Nous allons nous intéresser à la notion d’héritage familial et aux processus transgénérationnels (Courtois, 2003). Partager les mêmes racines crée, entre les membres d’une même famille, des liens indéfectibles qui, non seulement survivent à des séparations voulues ou non, mais influencent aussi le degré de liberté qu’auront les descendants de s’engager en dehors des liens d’origine, en particulier pour créer un couple et devenir parents à leur tour. Ainsi, tout nouveau-né est lié à la chaîne de ses ancêtres, même lorsqu’il subit des injustices. De quoi hérite-t-on ? - Les rites et les rituels : ce qui se répète et qui est codifié au sein d’une famille, ce qui établit les règles de la famille. Ils renforcent les liens d’appartenance et sont garants d’une certaine cohésion. Ils sont dynamiques et peuvent évoluer en même temps que la famille évolue. - Les mythes familiaux : un mythe va avoir pour fonction de construire l’image interne de la famille (celle qu’elle se donne d’elle-même). Les membres y adhèrent de façon inconditionnelle, même si le mythe n’est pas réaliste, il est inattaquable. Pourtant, chaque enfant de la famille va construire son mythe personnel et parfois déconstruire le mythe familial au profit de son propre mythe. C’est dans un paradoxe que ce mouvement s’opère : d’une part, l’enfant se conforme au mythe transmis de génération en génération et d’autre part, il s’en différencie pour construire sa propre identité et ainsi pouvoir intégrer de nouveaux groupes d’appartenance. Si la famille est dynamique, elle est suffisamment sécurisante pour permettre à chacun de ses membres de s’individuer. - Les scénarios familiaux (ou script) : les attentes familiales, en particulier quant aux rôles que l’on va devoir jouer au sein de sa famille. Les scénarios dessinent les schémas relationnels dans lesquels chaque membre s’inscrit (plus – on réplique le scénario à l’identique de façon loyale – ou moins – on corrige le scénario), notamment dans des phénomènes de répétition où les enfants reproduisent des mécanismes relationnels dans leur nouvelle famille lorsqu’ils deviennent parents à leur tour. Cependant, il arrive que ceux-ci s’appuient sur ces scénarios pour en élaborer un nouveau en opposition. (« Ce qui a été le plus souvent mis en évidence est le choix d’un partenaire à la fois proche et semblable au parent de sexe opposé. Mais le choix d’un conjoint peut aussi permettre d’adopter un contre-modèle : par exemple, une personne peut choisir un partenaire qui l’aidera à dépasser des scripts parentaux inconfortables. ») Une famille dynamique va utiliser certains scénarios du passé mais elle va aussi les adapter au temps nouveau, avec de nouveaux modes relationnels. - Les affects : L’héritage familial se transmet via les affects et les émotions. Nous pouvons rappeler cette période du préverbal chez le bébé où il est très sensible aux émotions. La manière dont l’enfant se construit, particulièrement dans l’éprouvé et le senti, est à mettre en relation avec l’expression des émotions de tous les membres de la famille. Les parents sont porteurs de l’ambiance de la famille qui se construit, mais celle-ci est influencée aussi par l’ambiance que chaque parent a connu et intégré dans sa propre famille durant son enfance. Donc les parents répondent aux demandes du nourrisson et celui-ci s’adapte aux réponses, d’abord dans l’imitation puis dans « l’accordage affectif ». L’accordage est la façon prédominante de communier, de partager des sensations et des affects. Le parent répond aux comportements de l’enfant, en synchronie avec lui, dans un autre registre de celui de l’enfant. L’accordage entraîne un changement chez l’enfant en lui fournissant quelque chose qu’il n’avait pas avant, ou en le renforçant s’il existait déjà. Cet accordage affectif entre les parents et l’enfant contribue chez celui-ci à installer la sécurité de base nécessaire à son développement (voir Daniel Stern). Le type d’attachement que les parents proposent à leur bébé va dépendre de celui qu’ils ont eux-mêmes connus enfant. Les modèles qu’ils ont intégrés vont s’inscrire dans une continuité transgénérationnelle. Le fonctionnement d’une famille se construit donc en fonction de la façon dont les jeunes parents vont s’autoriser (ou pas) à déroger à certains scénarios/rites/mythes inscrits dans leur histoire pour créer leurs propres idéaux. Jusqu’où les enfants choisissent-ils de se conformer et/ou de se libérer de l’emprise parentale pour construire leur identité propre ? Leur cadre organisationnel sera-t-il dynamique ou rigide ? Si le cadre est rigide, les croyances, les mythes et les scénarios seront intangibles et inattaquables ; chaque membre sera assigné à une place qu’il n’a pas choisi et sera, en quelque sorte, sacrifié au fonctionnement du groupe familial par une loyauté transgénérationnelle inaltérable. Si le cadre est dynamique, la famille sera suffisamment sécurisante pour que chacun de ses membres puisse s’individuer et s’autoriser une originalité. Ce sont alors les mythes, rituels et scénarios qui proposeront ce cadre sécurisant, dont on peut se séparer sans crainte mais auxquels on peut aussi faire appel pour se renforcer. Il sera également possible pour chaque membre de proposer de nouveaux rituels ou de nouvelles règles que la famille sera en capacité d’intégrer. Pour comprendre sa propre trajectoire, il est intéressant d’interroger le fonctionnement de la famille au sein de laquelle nous nous sommes peu à peu structurés. Ses valeurs, ses contradictions, son histoire et ses mythes peuvent nous éclairer sur nos choix d’adulte, et en particulier sur celui de s’intéresser à la souffrance des autres. L’APPROCHE DE VINCENT DE GAULEJAC : Vincent de Gaulejac est sociologue, il a participé à la création et à l’émergence de la sociologie clinique. Il démontre tout l’intérêt d’articuler la psychanalyse et la sociologie. Il met en évidence le croisement des facteurs intrapsychiques de l’histoire du sujet (inconscient, pulsion, désir, angoisse) avec les facteurs intersubjectifs (conditions sociales, matérielles et relationnelles). Nous nous intéresserons ici à ses travaux sur le roman familial, la trajectoire sociale et le récit de vie. À propos du roman familial : C’est un terme qu’il a emprunté à Freud (1909) pour décrire les fantasmes de l’enfant qui se construit sa propre histoire familiale, notamment en critiquant ses parents et sa culture familiale afin de renoncer à une image idéalisée et toute-puissante de ses parents. L’enfant intègre ainsi ses déceptions tout en se réconfortant et au final, en se réconciliant avec les imagos parentaux. Vincent de Gaulejac souligne ici la question du rapport social et des positions de classe. Il remarque qu’au départ, l’enfant n’a pas conscience des différences sociales. Lorsqu’il découvre de quel milieu social il est issu, en se comparant aux autres enfants qu’il rencontre, les appartenances de classe s’immiscent dans la construction identitaire (honte des origines, haine de classe, violence des rapports sociaux…). Bien souvent, celui-ci va souffrir d’un sentiment d’infériorité, peut-être aussi de honte et construire un roman familial lui permettra de se revaloriser jusqu’à ce qu’il parvienne à se dégager de la haine qu’il a pu ressentir vis-à-vis de son milieu familial. Pour Gaulejac, la famille a une fonction éducative qui va nous apprendre avec ses propres représentations comment nous situer par rapport aux autres, en particulier lorsqu’ils sont issus d’autres milieux. Ce positionnement va ensuite influer sur notre destinée individuelle : notre appartenance sociale, culturelle et politique, nos valeurs, nos modes d’éducation, notre relation à l’argent et au capital… Vincent De Gaulejac anime les séminaires « Roman familial et trajectoire sociale », qui est un travail de groupe (10 personnes) où tour à tour chacun se raconte afin de dégager – à l’aide du groupe – sa propre trajectoire entre processus sociaux et processus psychiques. Il s’agit donc d’envisager le roman familial sous un angle sociologique ; il parle « d’individu psychosocial historique ». Il propose de mêler l’analyse des déterminants sociaux, des déterminants familiaux et des déterminants inconscients pour observer leurs interactions et leur impact sur notre parcours de vie. Il ne s’agit pas pour la sociologie clinique de distinguer ces déterminants les uns des autres mais bien de montrer que tout individu a une existence qui les dialectise. « La compréhension du contexte économique, culturel et historique dans lequel s’inscrit une existence permet de faire la part des choses entre le social et le psychique. » (2012, p. 102) Ainsi, pour lui, « L’individu est multidéterminé, socialement, inconsciemment, biologiquement, et ces déterminations multiples le confrontent à des contradictions qui l’obligent à faire des choix, à inventer des médiations, à trouver des « réponses », des issues, des échappatoires… » (2012, p. 11). Reprendre ses mythes familiaux permettrait à celui qui les interroge de réaliser des « ajustements entre l’identité prescrite, l’identité souhaitée et l’identité acquise », dans la mesure où il y a toujours en écart entre l’histoire réelle et ce que le sujet en dit (2012, p. 13). Il a aussi développé la notion de « névrose de classe » (1987) qui décrit « les difficultés rencontrées par les personnes qui changent de classe sociale ou de culture et dont l’une est dominante par rapport à l’autre » (2012, p. 15). C’est cette contradiction interne qui peut développer la névrose de classe (composantes sociales dans le développement psychique de l’enfant, sentiment d’infériorité, mécanisme de dédoublement interne, hypersensibilité face à l’humiliation, isolement, repli sur soi). Ses séminaires de récit de vie visent à ce que les participants prennent conscience des déterminants sociologiques qui structurent leur existence. Celle-ci s’avère forcément marquée par des phénomènes sociaux généraux (« les évolutions démographiques, les transformations des structures familiales, le passage du rural à l’urbain, l’augmentation globale des niveaux de vie, le développement du salariat, l’évolution du statut des femmes, la démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur… » (2012, p. 100) qui influent sur des choix que l’on voudrait personnels. L’individu ne serait « qu’un produit fabriqué par l’histoire » (2012, p. 101), même si, dans une dialectique, celui-ci reste sujet de son histoire. De Gaulejac questionne ainsi la façon dont on va « échapper à son destin tel qu’il apparaît déterminé socialement » (2012, p. 102). Le travail du cycle « roman familial et trajectoire sociale » permet au sujet de reconstituer son histoire en s’arrêtant sur des évènements marquants de celle-ci pour les incorporer dans son actualité. « Si on ne peut changer le passé, on peut changer son rapport à ce passé, en comprenant en quoi cette histoire est toujours présente en soi. (2012, p. 23) » Pour De Gaulejac, intégrer ainsi son historicité permettrait au sujet de pouvoir se projeter dans un avenir avec la logique de sa propre histoire. Un autre principe dit qu’en s’appuyant sur un récit sociohistorique, on se confronte à ses émotions (présentes mais surtout passées) liées à des contradictions intimes entre ce que l’on vit dans des relations d’attachement familial et ce que l’on vit dans un champ social et affectif, dominé par une « logique de la distinction » (2012, p. 50). Il remarque que bien souvent, les rapports sociaux engendrent une haine de classe difficilement communicable, notamment lorsque l’autre suscite de l’envie et révèle la honte des origines d’une classe inférieure mais aussi le désir de s’élever. Aussi, celui qui réussit renvoie l’autre à ses manques.  De Gaulejac propose donc d’intellectualiser son histoire, de la théoriser, pour une « prise de conscience des processus de construction identitaire » (2012, p. 73). L’ANALYSE DU PARCOURS ANTÉRIEUR : QUELQUES RAPPELS ET CONSIGNES Mon adresse mail : isabellebasset.amiens@gmail.com Pour le 17 mars 2024, vous aurez à me rendre un écrit personnel au sujet de l’analyse de votre propre parcours personnel. C’est un écrit qui restera confidentiel. Il ne s’agit pas de répondre à mes attentes mais bien aux vôtres : c’est un « document souvenir », une photographie du moment où vous en êtes dans votre parcours et comment vous êtes arrivé là. L’idée serait que vous mettiez à jour vos propres « nœuds sociopsychiques », comme nous avons pu le voir en évoquant le travail de Vincent de Gaulejac. Cette démarche pourrait ensuite vous aider à aborder votre futur travail d’intervenant social avec une certaine assise personnelle. Il ne s’agit pas non plus de vous engager dans une thérapie. Ecrivez ce qu’il vous semble possible d’écrire, tranquillement et sans vous faire souffrir. Nous avons tous des blessures intimes qui parfois ressurgissent lorsque l’on travaille dans le champ de la relation ; si cela devait être le cas (car ça n’arrive pas systématiquement), c’est à vous de faire le choix (ou pas) de les traiter auprès d’un professionnel. Ici nous sommes dans un parcours de formation qui concoure simplement à votre changement d’identité professionnelle. Le champ de l’intime, c’est autre chose. Voici quelques éléments qui pourraient vous guider : Alex Lainé : « On n’est jamais uniquement le produit de ses propres choix, de ses décisions, de ses orientations. On est aussi le fils de son époque, de sa classe sociale d’origine, des projets que nos parents ont faits pour eux-mêmes et pour nous. Bref, on ne se crée pas tout seul. » (2007, p. 75) ==> Reprendre son parcours, mais en tachant d’analyser les différentes étapes ==> Chercher une cohérence en structurant son histoire autour de faits centraux, même s’ils semblent disparates au départ (chercher les « faits organisateurs qui font de l’histoire d’une vie une totalité porteuse de sens » Lainé, 2007, p. 145) Tous les évènements ne sont pas à retenir : pour ce récit, il ne faut garder que les évènements qui font sens (parcours de formation, parcours professionnel, vie personnelle et familiale). Ceux-ci peuvent être liés à la vie du sujet, mais il peut aussi s’agir de faits historiques, de faits de société qui sont tout aussi marquants et ont influencé la vie subjective. L’histoire de vie est ancrée dans l’environnement social et historique, parfois de façon transgénérationnelle. C’est souvent dans ce cadre qu’émergent des valeurs personnelles identificatoires qui vont se professionnaliser. ==> Garder l’idée que la vie est inachevée, que la formation n’est pas une fin en soi. De la même façon, l’histoire peut commencer bien avant la naissance, ou bien après. ==> Faire des hypothèses d’analyse, ne pas chercher à trouver des interprétations arrêtées pour éclairer le processus : « Comment tous ces éléments, qui exercent une influence probable sur le cours de la vie du sujet, s’articulent-ils les uns aux autres ? Sont-ils reliés entre eux par des liens de cohérence et/ou de contradiction, voire de paradoxe ? » (Lainé, 2007, p. 158) Chercher davantage la signification des évènements et leur impact plutôt que des « causes » pour éviter les amalgames. « L’une des différences majeures entre causalité et signification, c’est que la première joue dans le passé, la seconde dans le présent et l’avenir. Une autre différence, et non la moindre, c’est que si la causalité est un processus objectif, la signification est toujours le fait d’un sujet. Par conséquent on ne peut changer un processus causal objectif qui s’est réalisé, on n’a aucune prise sur un tel processus. À l’inverse le sujet peut changer la signification qu’il donne à des évènements parce que cette attribution de sens dépend essentiellement de lui. » (Lainé, 2007, p. 161) ==> Rester dans une démarche de projet : le passé et le présent sont toujours évoqués en lien avec l’avenir. « On observe cette impossibilité de se mettre en projet chez des sujets qui se représentent leur histoire comme s’il s’agissait d’un destin inexorable s’accomplissant indépendamment de leur volonté. C’est ici que le travail de l’histoire de vie s’avère utile. Car c’est bien dans l’examen, l’analyse de mon histoire passée, que je vais découvrir les moments où, malgré les influences et les déterminismes externes, j’ai posé des actes qui ont orienté le cours ultérieur de ma vie. » (Lainé, 2007, p. 168) ==> Ne pas hésiter à faire des liens théoriques, notamment avec les concepts découverts en formation. EN QUATRE POINTS : 1. Origines professionnelles : quand et comment êtes-vous entré?e dans le secteur du social ? 2. Les expériences de vie qui ont un rôle marquant dans votre parcours. 3. Rappel du projet de formation et de vie. Quels centres d’intérêts s’y retrouvent ? 4. Quelle place vient prendre cette année de formation et ce diplôme dans votre parcours passé-présent-futur. BIBLIOGRAPHIE Bouchereau, X. (2012). Les non-dits du travail social : Pratiques, polémiques, éthique. Toulouse : Érès. Courtois, A. (2003). Le temps des héritages familiaux : Entre répétition, transformation et création. Thérapie Familiale, 24, 85-102. https://doi-org.merlin.u-picardie.fr/10.3917/tf.031.0085 Elkaïm, M., Glorion, C. (2006). Comment survivre à sa propre famille. Le Seuil. Freud, S.?1909.?«?Le roman familial des névrosés?», dans Névrose, psychose et perversion, Paris, Puf, 1973, p.157-160. Gaulejac V. de (1987). La Névrose de classe. Paris : Hommes et groupes. Gaulejac V. de (2012). L’histoire en héritage. Roman familial et trajectoire sociale. Paris : Payot & Rivages. Gaulejac, V. de (2019). Roman familial. Dans : Christine Delory-Momberger éd., Vocabulaire des histoires de vie et de la recherche biographique (pp. 153-155). Toulouse, France : Érès, p. 154. https://doi-org.merlin.u-picardie.fr/10.3917/eres.delor.2019.01.0153" Lainé, A. (2004). Faire de sa vie une histoire. Théorie et pratiques de l’histoire de vie en formation, Paris : Desclée de Brouwer (2ème éd. 2007). Negroni, C. (2013). Quels outils pour favoriser la réflexivité des formés ? Les apports du suivi de parcours de reconversion dans des dispositifs universitaires de formation professionnelle. Les Sciences de l'éducation - Pour l'Ère nouvelle, vol. 46, p. 21-40. https://doi.org/10.3917/lsdle.462.0021 Puaud, D (2013). Le travail social ou l’art de l’ordinaire. Paris : Fabert.