La LibertŽ guidant le peuple dÕEugne Delacroix De manire gŽnŽrale, lÕhistorien de lÕart placŽ devant un chef dÕĻuvre Žprouve toujours quelques difficultŽs. Elles ressurgissent plus grandes encore devant La LibertŽ guidant le peuple qui est Š et ce depuis le XIXe sicle, plus quÕun chef dÕĻuvre, une ic™ne nationale, une Ļuvre que lÕon peut qualifier de patrimoniale. Aprs la chute du Second Empire en 1871 et la fin des rŽgimes monarchiques, elle allait tre utilisŽe pour illustrer des idŽologies diverses. Son image, interprŽtŽe, reprise directement - en partie ou dans sa totalitŽ - sert les propagandes, les sentiments nationalistes. Tous y recourent, quelques soient leur opinion, depuis les extrŽmistes de la gauche et de la droite, depuis les cocardiers jusquÕaux anarchistes, depuis les patriotes jusquÕaux partisans de lÕInternationale. LÕĻuvre de Delacroix rallie toutes les causes, incarne toutes les espŽrances. En sÕidentifiant ˆ lÕidŽal dŽmocratique franais puis ˆ la France mme et ˆ ses cinq RŽpubliques successives, elle est donc devenue au XXme sicle une emblme, la figure centrale du tableau Žtant assimilŽe ˆ Mariane, le symbole de la RŽpublique, visible par tous au quotidien sur les timbres mis en usage en 1992, et prŽcŽdemment sur les anciens billets de 100 francs, Žmis en 1979. Elle voyage en 1999 vers Tokyo dans avion conu Žcialement pour elle (Beluga), ŽvoquŽe par une gigantesque photographie collŽe sur la carlingue de lÕavion qui la transportaitŹ; elle sera exposŽe durant un mois dans une salle rŽamŽnagŽe du MusŽe national de Tokyo ou prs de 5000 visiteurs viendront lÕadmirer chaque jour. Lors de son pŽriple elle recevra un ouveau nom ŽvocateurŹ: ĒŹLa dŽesse de la LibertŽŹČ. Difficile donc de cerner par lÕanalyse cette image appartenant avant tout ˆ la mŽmoire collective des franais. Nous allons pourtant nous y risquer mais avec la conscience quÕune telle Ļuvre, crŽŽe par Eugne Delacroix ˆ la suite de lÕinsurrection populaire de juillet 1830, appartient ˆ tous et revt ainsi un enjeu qui dŽpasse lÕHistoire de lÕart. De fait, la surinterprŽtation projetŽe sur la LibertŽ guidant le peuple entra”ne des glissements de sens. Seule lÕanalyse de lÕĻuvre, fondŽe sur une description minutieuse et objective, pourra nous permettre de nous approcher des intentions dÕune figure tout aussi grande et puissante que la LibertŽŹ: le peintre romantique, Eugne Delacroix. Il cristallise ˆ son tour les idŽes reues associŽes ˆ lÕartiste romantique, dont lÕart serait le fruit dÕune fulgurante inspiration ou encore, qui incarne la figure de lÕartiste maudit et rŽvoltŽ face au pouvoir officiel et farouchement engagŽ. Nous verrons que la rŽailtŽ est autre en cernant ses objectifs quand il peint ce tableau, qui lui vaudra dÕailleurs les honneurs (il recevra la LŽgion dÕhonneur en 1831) et qui sera achetŽ par le Ministre de lÕIntŽrieur du nouveau gouvernement. Le nouveau roi Louis- Philippe Ier, ˆ la tte de la Monarchie, dite de juillet, succde ˆ Charles X, au pouvoir depuis 1824, et qui dut abdiquŽ et sÕexilait en Angleterre, aprs que le peuple se soit rŽvoltŽ contre lui. Louis-Philippe avait personnellement dŽcidŽ que toutes les Ļuvres qui Žvoqueraient la rŽvolution des Trois Glorieuses, les Žvnements des 27, 28 et 29 juillet 1830, seraient acceptŽes et exposŽes au Salon, sans passer devant le jury. Trente Ļuvres reprŽsentaient ces journŽes dÕinsurection parmi lesquelles Le 28 juillet. La LibertŽ guidant le peuple. Elle appara”t donc comme une Ļuvre de circonstance et sÕinspire dÕun sujet contemporain. LÕanalyse sÕarticulera selon 2 grandes partiesŹ: A partir dÕune description, nous nous livrerons ˆ une analyse iconographique et iconologique qui viendra croiser une analyse formelle. DŌun point de vue de la mŽthode, nous devons en effet considŽrer que les clefs de la signification de lÕĻuvre sont ˆ chercher et ˆ trouver dans lÕĻuvre elle-mme. La description est ˆ la base de lÕiconographie Š science initiŽe par Erwin Panofsky, dans Essais dÕIconologie paru enŹ1939, premire traduction franaise, 1967. Cette desription objective permet au regard de pŽnŽtrer lÕĻuvre, libre des a priori dus ˆ une interprŽtation trop vite formulŽe. LŌanalyse iconographique, dŽduite de lÕobservation, succde donc ˆ la description premire, mais sera, ˆ cause du temps bref dont nous disposons, liŽe ˆ celle-ci. Une double analyse, iconographique et formelle devrait nous permettre de mettre ˆ jour les partis pris picturaux de Delacroix, et ainsi de nous interroger sur ses intentions artistiques Š vŽritable problŽmatique face ˆ ce chef dÕĻuvre surinterprŽtŽ Š et de nous poser en conclusion la question de la rŽception de la LibertŽ. Fiche signalitique ou dÕidentification de lÕĻuvre Eugne Delacroix (Charenton-Saint-Maurice 1798 Š Paris 1863), Le 28 juillet. La LibertŽ guidant le peuple, huile sur toile, hauteur 260 cm x largeur 325 cm, SignŽ et datŽ ˆ droite ˆ mi-hauteur sur les madriersŹ: ĒŹEug. Delacroix 1830ŹČ. Acquise par le Ministre de lÕIntŽrieur au Salon de 1831 (information parue au Moniteur du 17 aožt 1831)Ź; donnŽ au MusŽe du louvre par la Direction des Beaux-Arts en 1874. NumŽro dÕinventaireŹ; R.F. 129. Ź I- Iconographie A- Description Une femme, au buste dŽnudŽ, franchit une barricade en brandissant un drapeau et un fusil. Elle entra”ne avec elle cinq personnages armŽs, trois hommes et deux enfants. Devant la barricade, au premier plan, faite de pavŽs arrachŽs ˆ la rue et de madriers, le regard dŽcouvre les cadavres de trois hommes. LÕarrire plan est envahi par une foule indistincte brandissant des armes diversesŹ; ˆ la gauche de la femme porte-drapeau, dans la fumŽe surgit la silhouette de Notre Dame. B- Reconnaissance du thme Cette partie nous amne ˆ considŽrer rapidement les diverses appellations et le titre de lÕĻuvre. Le peintre lui-mme lՎvoque dans une lettre du 12 octobre 1830, adressŽe ˆ son frre Henri, gŽnŽral en retraite, qui avait gagnŽ ses galons dans la Grande ArmŽe. ĒŹBon et cher frre, ta bonne lettre mÕavait fait un bien grand plaisir, pour le spleen, il sÕen va gr‰ce au travail. JÕai entrepris un sujet moderne, une barricade, et si je nÕai pas vaincu pour la patrie au moins peindrai-je pour elle. Cela mÕa remis en belle humeur.ŹČ Delacroix donne parfois ˆ son Ļuvre le titre raccourci La LibertŽ, mais le titre choisi pour dŽsigner sa composition au Salon de 1831 Žtait Le 28 juillet, titre sous lequel le tableau fut dÕailleurs rŽfŽrencŽ dans le livret du Salon au numŽro 511 (coquilleŹ? Le 29 juillet ). La dŽnomination actuelle la LibertŽ guidant le peuple, liŽe ˆ sa cŽlŽbritŽ depuis le XIXme sicle est au dŽpart un sous-titre, un titre complŽmentaire Žgalement mentionnŽ dans le livret du Salon. LÕensemble des appellations font rŽfŽrences aux ŽvŽnements des ĒŹTrois GlorieusesŹČ et nous entra”ne vers le point C de cette partie iconographiqueŹ: C- Contexte de la crŽation de lÕĻuvre De manire gŽnŽrale et dÕun point de vue mŽthodologique, il faut sÕefforcer dans cette partie de sŽlectionner les ŽlŽments qui ont un rapport Žtroit avec lÕĻuvre dÕart analysŽe. Il faut par exemplaire se mŽfier du recours ˆ une biographie de lÕartiste, trop longuement citŽe. Le cas de La LibertŽ est particulier puisque lÕune des sources dÕinspiration de lÕĻuvre sont les Žvnements historiques auxquels il assiste et mme participe. En effet il est chargŽ avec Ingres et DevŽria de protŽger les Ļuvres du MusŽe du Louvre. DÕun point de vue mŽthodologique cette Ļuvre, devenue chef-dÕĻuvre, pose donc la particularitŽ de reprŽsenter un ŽvŽnement, rŽel, historique, lourd de circonstances politiques car menant ˆ lÕinstauration dÕune monarchie parlementaire qui restera au pouvoir en France pendant dix-huit ans. Seule lÕanalyse picturale nous permettra de dŽfinir le lien que Delacroix tisse entre les Žvnements historiques et leur reprŽsentation. Mais ces conditions de la rŽalisation de lÕĻuvre nous conduit ˆ rappeler ces Žvnements succintement ne serait-ce que pour pouvoir dans un second temps nous concentrer sur leur Žvocation purement picturale. Il nous faut prŽsenter le contexte de crŽation de lÕĻuvre qui se superpose au contexte historique, politique et social. Eugne Delacroix, occupant un atelier quai Voltaire devant le Palais des Tuilerie, vit les ŽvŽnements. Alexandre Dumas-pre, son ami, Žvoquera, e 1364, des souvenirs de jeunesse et notamment les sentiment ŽprouvŽs par le peintre durant lÕinsurrection. ĒŹLorsque le 27 juillet, je rencontrai Delacroix du c™tŽ du Pont dÕArcole et quÕil me montra quelques uns de ces hommes que lÕon ne voit que les jours de rŽvolution, et qui aiguisaient sur le pavŽ, lÕun un sabre, lÕautre un fleuret, Delacroix (É) me tŽmoigna sa peur de la faon la plus Žnergique. Mais quand Delacroix eut vu flotter sur Notre-Dame le drapeau au trois couleurs, quand il reconnut, lui le fanatique de lÕEmpire (É) lՎtendard de lÕEmpire, ahŹ! ma foi, il nÕy tint plus, lÕenthousiasme pris la place de la peur , et il glorifia ce peuple qui lÕavait effrayŽ.ŹČ1 SÕinspirer directement des ŽvŽnements doit dÕailleurs tre notŽ comme une caractŽristique du mouvement pictural romantique qui diversifie ses sources, ses thmes dÕinspiration, par rapport ˆ la dŽmarche nŽoclassique. Les peintres dÕhistoire nŽoclassiques expose les actions vertueuses, exemplaires des hommes en puisant dans lÕhistoire antique, parfois mythologique, religieuse. Les romantiques renouvellent les thŽmatiques et exaltent les ŽvŽnements contemporains dans des tableaux aux grandes dimensions rŽservŽs traditionnellement ˆ la peinture dÕhistoire. * Le radeau de la MŽduse, ThŽodore gŽricault LÕinsurrection populaire des trois Glorieuses est prŽcŽdŽe dÕune confrontation entre le roi, Charles X (frre de Louis XVI et de Louis XVIII) et la chambre des dŽputŽs, dont une majoritŽ de 221 membres avait violemment critiquŽ, en mars 1830, la politique menŽe par le principal ministre du roi, le Prince de Polignac. Ainsi, le 19 mars 1830, face ˆ une impasse politique, car il soutenait son ministre, Charles X avait finalement dŽcidŽ de mettre la chambre en congŽ, avant de la dissoudre dŽfinitivement le 16 mai suivant. Le prince de Polignac escomptait un retour de situation permis par la conqute dÕAlger lancŽe le 25 mai 1830 et qui tombait dŽfinitivement sous la domination franaise le 4 juillet, mais lors des Žlections organisŽes au dŽbut de lՎtŽ, lÕopposition remportait la majoritŽ ˆ la Chambre des dŽputŽs (174 siges). Afin de museler dŽfinitivement les dŽputŽs rebelles ˆ sa politique, Charles X recourait ˆ lÕarticle 14 de la Charte. Ce texte constitutionnel, fondateur de la monarchie parlementaire, rŽgime issu de la chute de lÕEmpire, qui rŽglait depuis 1814 les relations entre le souverain et la chambre des dŽputŽs. LÕarticle 14 confŽrait au roi le pouvoir de lŽgifŽrer directement par ordonnance, en sÕabstenant du vote des dŽputŽs dans le cas o la ĒŹsžretŽ de lՎtat serait menacŽeŹČ. Le 25 juillet 1830, Charles X, promulgait 4 ordonnancesŹ: - limitant le pouvoir de la presse, en soumettant les journalistes ˆ ine autorisation de publication. - dissolvant ˆ noueau la chambre des dŽputŽs. - Fixant de nouvelles Žlections pour le mois de septembre - RŽformant la lois Žlectorale. - Une 5me ordonnance nommait des royalistes fervents aux principales charges officielles. Cri des insurgŽsŹ: ĒŹVive la charteŹ!ŹČ, les journalistes, les Žtudiants, les polytechniciens, le peuple dans sa diversitŽ se soulvent et le 29 juillet 2009 sÕemparent de lÕ Arsenal, du Palais royal aux Tuileries et de lÕHotel de Ville. Ds le 28 juillet, le drapeau tricolore, lÕunion des trois couleurs, bleu et rouge de Paris assorti au blanc de la Monarchie Š drapeau devenu le symbole de la RŽvolution et de la victoire du peuple -, Žtait hissŽ en haut des tours de Notre Dame de Paris, et le tocsin sonnait dans toute la capitale. II- Iconologie Signification des diffŽrents ŽlŽments constitutifs du tableau. Personnages et paysage. Īuvre dÕimagination mlant des figures allŽgoriquesŹ- La LibertŽ et le cadavre ˆ demi-nu au premier plan qui peut incarner lÕidŽe de la Victime Š ˆ des personnages rŽels reprŽsentŽs dans leur action historique. Ce parti pris dÕimagination, de fiction sÕappuie sur la reprŽsentation indistincte de la multitude hŽrissŽe dÕarmes blanches qui Žvoque une foule rŽvoltŽe sans prŽcision. Ainsi par le choix de lÕallŽgorie, Delacroix sÕinscrit dans la continuitŽ des peintres dÕhistoire en poursuivant une grande tradition de la renaissance et du XVIIe sicle, tout en optant pour le modernitŽ, reprŽsentation de lÕactualitŽ. La figure de la LibertŽ Comment Delacroix reprŽsente-t- il cette ĒŹAllŽgorie en mouvementŹČ, ĒŹla LibertŽ en actionŹČŹ? Grand intŽrt de la gense crŽatrice de cette figure. En effet elle dŽcoule dÕune recherche formelle ancienne. Une idŽe qui sÕexprime dans des dessins prŽparatoires communs ˆ la recherche plastique qui aboutira ˆ La Grce sur les ruines de Missolonghi, achevŽ en 1827, et La LibertŽ guidant le peuple. * projection dÕune sŽlection de dessins. Gense crŽatrice o le dessein (il disegno, cosa mentale) au sens de lÕIdŽe, du projet vient sÕincarner dans la reprŽsentation dÕun Žpisode rŽel, historique tout en donnant corps ˆ une allŽgorie. Quels sont les choix iconographiques qui la dŽsigne comme une allŽgorieŹ? - Haute statureŹ: elle est grandie, stature exagŽrŽe pour accentuer son caractre dÕexception. Elle est la libertŽ et ne peut tre confondue avec une simple insurgŽe. Elle rappelle aussi la dŽesse antique AthŽna, les allŽgorie de la Paix, de la Raison, de la LibertŽ. - Les seins dŽnudŽs est un attribut iconographique traditionnellement attribuŽ ˆ la figure allŽgorique de la Victoire. Cf. La Victoire de samothrace mais qui nÕentre au MusŽe du louvre quÕen 1865. Les Iambes dÕAuguste Barbier parue immŽdiatement aprs la RŽvolution de Juillet et qui la glorifieŹ: ĒŹCÕest une forte femme aux puissantes mamellesŹČ. Chemise dŽchirŽe, rabatue sur une jupe beige aux plissŽ ondoyant (rappel du drapŽ antique), retenue par une ceinture rouge. - Au-dela de ses sources objectives repŽrable, dans lÕart de Delacroix, la femme nue est aussi lÕobjet de la sŽduction Žrotique, liŽ, chez le peintre, ˆ la mort. * La mort de Sardanapale, 1824 - Le profil grecŹ: les examens radiographiques ont rŽvŽlŽs des repentirs, la LibertŽ Žtait vu initialement de face puis elle livre au spectateur un profil grec trs rŽgulier. Cette possition de la tte finalement adoptŽe, la dŽcoupe du corps ˆ droite, le bras gauche et lÕunique pied nu dŽpassant de la robe rappelle lÕange libŽrateur de sant Pierre peint par Rapha‘l dans les chambres du Vatican (texte de D. sur Rapha‘l dans la revue de Paris de 1829). => La LibertŽ = une ĒŹallŽgorie rŽelleŹČ (titre inventŽ 25 ans plus tard par Courbet pour lÕAtelier. Les ŽlŽments que je viens de citer dŽsigne La LibertŽ comme une allŽgorie, qui, traditionnellent sÕassortissait en peinture dÕune idŽalisation du personnage incarnant lÕidŽe. Ici toute la force de lÕinvention de Delacroix, toute la modernitŽ, rŽside dans cette allŽgorie enprise directe avec le rŽel et qui brouillant les codes de reprŽsentation picturaux devient rŽaliste. Quelles sont les caractŽristiques de la LibertŽ ˆ verser au compte du rŽalismeŹ? - Elle porte un fusil ˆ bayonnette, fusil dÕinfanterie modle 1816, dŽtaillŽ et prŽcis, ainsi quÕun drapeau. Son bonnet phrygienŹ: Le bonnet phrygien est un symbole d'origine orientale portŽ par P‰ris (originaire de Phrygie et fils de Priam) repris dans lÕiconographie romaine tardive. Il est par exemple portŽ par les rois mages sur les reliefs ou les fresques palŽochrŽtiennes (comme symbole du mage oriental), par les prisonniers perses sur les bas-reliefs de l'Arc de Galre ou de la colonne d'Arcadius. Toujours en Perse, il Žtait portŽ par la divinitŽ Mithra qui serait apparu au moins au XVIe sicle av. J.-C.. Le bonnet phrygien tire Žgalement sa symbolique de libertŽ de sa parentŽ romaine avec le pileus[1] (chapeau en latin). Le pileus coiffait les esclaves affranchis de l'empire romain, reprŽsentant leur libertŽ. Ce bonnet est repris en France au dŽbut de l'ŽtŽ 1790 comme symbole de la libertŽ et du civisme. Le bonnet phrygien devient symbole de la RŽvolution franaise, et de l'automne 1793 ˆ juillet 1794 (pŽriode de la Terreur), il est portŽ dans beaucoup de collectivitŽs administratives du pays. Depuis la RŽvolution, le bonnet phrygien coiffe Marianne, la figure allŽgorique de la RŽpublique franaise. - La critique de 1831 va accueillir de manire diverse le tableau mais lÕon rŽprouve trs souvent la saletŽ de la figure de La LibertŽ. CÕest une allusion directe au rŽalisme de sa reprŽsentation et, plus prŽcisŽment, ˆ la pilositŽ de son aisselle. Un Žpiderme lisse est seul acceptable pour le nu. A cette aisselle sÕajoute un teint cuivrŽ, une peau sale et colorŽe par lÕeffort et la poudre. La nuditŽ de son torse nÕest pas peru comme une hŽro•sation, intention vraisemblable de Delacroix, mais comme un dŽshabillage de mauvais tonŹ: ĒŹpoissarde, fille publique, faubourienne, la plus ignoble courtisanne des plus salles rue de ParisŹČ. La modernitŽ de son allŽgorie dŽroute, la libertŽ de son style, lÕambigu•tŽ inhŽrante ˆ sa libertŽ crŽatrice se cristallise dans la personnification dÕune LibertŽ, poissarde et dŽesse. Cette figure nÕest pas rŽductible ˆ une lecture univoque. Cela vient-il de la perception des ŽvŽnemnts par Delacroix, selon Dumas ˆ la peur du peulple succŽdera lÕadmiration et lÕexaltation du peintreŹ? Cela gŽnrera une rŽception critique souponneuse, entre admiration et dŽgožtŹ: sagit-il dÕune ode ˆ la LibertŽ ou dÕune satyre. Mais la force plastique qui se dŽgage de lÕĻuvre et de lÕallŽgorie en mouvement nÕapas dՎquivalent. LÕinsurrection A- armesŹ: motifs essentiels, trs visibles -Le gamin de ParisŹ: pistolets de cavalerie modle 1816 et giberne de lÕinfanterie de la garde royale -Homme au chapeau haut de formeŹ: fusil de chasse (tromblon ˆ 2 canons parallle). -Homme au bŽretŹ: sabre des compagnies dՎlite dÕinfanterie + le porte-sabre du fantassin. B- mortsŹ: ˆ droiteŹ: ˆ plat ventre cuirassier ˆ lՎpaulette blanche de la garde royale et sur le dos, un garde suisse de Charles X, son shako a roulŽ au premier plan. - ĒŹHectorŹČŹ: Le cadavre au premier plan peut tre considŽrŽe comme une figure alŽgorique, ce cadavre dŽnudŽ nÕincarne-t-il pas toutes les victimes de lÕoppression et des rŽvoltesŹ? Ce cadavre qui pourrait sembler impudique est en fait une acadŽmie, dŽsignŽe sous le nom dÕHector, travaillŽe dans les ateliers et reprise de lÕAntiquitŽ. Elle sÕinspire du corps dÕHector, le Troyen, tirŽ par le char dÕAchille, la tunique retroussŽe sur les jambes surŽlevŽes, les bras Žtendus au sol. => A nouveau une allŽgorie rŽaliste. DifficultŽ dÕidentification des divers personnages - Ho au bŽret et sabre = ouvrier venu de son atelier, habits de travailŹ: tablier protecteur boutonnŽ sur le pantalon ˆ pont = il sÕagit dÕun manufacturier. Sur son bŽretŹ: la cocarde des partisans de Louis-Philippe (blanche barrŽe par un neud rouge = les libŽraux) - Homme au chapeau haut de formeŹ: identifiŽ parfois mais sans vraisemblance ˆ Delacroix = artisan, peut-tre chef dÕatelier car pantalon large et ceinture de flanelle rouge (mai la main ˆ lÕouvrage), chapeau haut de forme portŽ par les diffŽrentes classes sociales, identifiŽ ˆ tort comme un bourgeois. - Jeune homme aux pieds de la LibertŽ qui a conservŽ le mouchoir de tte, la blouse, retroussŽe sur la ceinture de flanelle rouge des travailleurs de force, paysan venu temporairement ˆ Paris, installŽ en camps volant pour la durŽe dÕun chantier. ManĻuvre, blessŽ, son sang sՎcoule sur les pavŽ de la barricade, il implore la LibertŽ.Cf le prisonnire lithuanien aux pieds de NapolŽon 1er, Bataille dÕEylau de Gros, 1808. - Enfant ˆ gaucheŹ: ciffŽ du bonnet de police des voltigeurs de la garde nationaleŹ; milice dissoute par Charles X car reclant davantage dÕopposants au rŽgime, bonapartistes et orlŽanistes, que de dŽfenseurs de lÕordre. Ils sont du c™tŽ du peuple sur les barricade. - Le ĒŹgamin de ParisŹČ, giberne de lÕinfanterie de la garde royale incarne fra”cheur de lÕengagement populaire, lŽgende du jeune Arcole (pont) + inspirera Gavroche = symbole de lÕadolescent sacrifiŽ ˆ une noble cause. Il porte la faluche (bŽret de velours noir des Žtudiants) = emblme des agitations estudiantines. - Notre Dame de Paris - => Hormis la figure allŽgorique de La LibertŽ, les militaires et les enfants, tous ceux qui sont reprŽsentŽs sont des travailleurs manuels. En fait, ils doivent demeurer anonymes et sont des archŽtypes sociaux. Le sens de peuple ˆ ce moment lˆ serait celui de classe populaires, prise de cs du peuple franais avec la RŽvolution de 1830 que sa voix dŽsormais devra compter. 1 Causerie prononcŽe le 10 dŽcembre 1864, publiŽ dans La Presse, 7 janvier 1865. 18