Platon, LÕAlle?gorie de la caverne La Re?publique, Livre VII (vers 420-340 av. J-C) Socrate : Maintenant repre?sente toi de la fac?on que voici lÕe?tat de notre nature relativement a? lÕinstruction et a? lÕignorance. Figure-toi des hommes dans une demeure souterraine, en forme de caverne, ayant sur toute sa largeur une entre?e ouverte a? la lumie?re; ces hommes sont la? depuis leur enfance, les jambes et le cou enchai?ne?s, de sorte quÕils ne peuvent ni bouger ni voir ailleurs que devant eux, la chai?ne les empe?chant de tourner la te?te; la lumie?re leur vient dÕun feu allume? sur une hauteur, au loin derrie?re eux; entre le feu et les prisonniers passe une route e?leve?e : imagine que le long de cette route est construit un petit mur, pareil aux cloisons que les montreurs de marionnettes dressent devant eux et au dessus desquelles ils font voir leurs merveilles. Figure toi maintenant le long de ce petit mur des hommes portant des objets de toute sorte, qui de?passent le mur, et des statuettes dÕhommes et dÕanimaux, en pierre en bois et en toute espe?ce de matie?re; naturellement parmi ces porteurs, les uns parlent et les autres se taisent.? - Voila?, sÕe?cria Glaucon, un e?trange tableau et dÕe?tranges prisonniers.? Ils nous ressemblent; et dÕabord, penses-tu que dans une telle situation ils aient jamais vu autre chose dÕeux me?mes et de leurs voisins que les ombres projete?es par le feu sur la paroi de la caverne qui leur fait face ?? - Et comment, observa Glaucon, sÕils sont force?s de rester la te?te immobile durant toute leur vie ?? Et pour les objets qui de?filent, nÕen est-il pas de me?me ? ?- Sans contredit.? Si donc ils pouvaient sÕentretenir ensemble ne penses-tu pas quÕils prendraient pour des objets re?els les ombres quÕils verraient ?? - Il y a ne?cessite?.? Et si la paroi du fond de la prison avait un e?cho, chaque fois que lÕun des porteurs parlerait, croiraient-ils entendre autre chose que lÕombre qui passerait devant eux ? ?- Non, par Zeus !? Assure?ment de tels hommes nÕattribueront de re?alite? quÕaux ombres des objets fabrique?s. Conside?re maintenant ce qui leur arrivera naturellement si on les de?livre de leurs chai?nes et quÕon les gue?risse de leur ignorance. QuÕon de?tache lÕun de ces prisonniers, quÕon le force a? se dresser imme?diatement, a? tourner le cou, a? marcher, a? lever les yeux vers la lumie?re : en faisant tous ces mouvements, il souffrira et lÕe?blouissement lÕempe?chera de distinguer ces objets dont tout a? lÕheure il voyait les ombres. Que crois-tu donc quÕil re?pondra si quelquÕun lui vient dire quÕil nÕa vu jusquÕalors que de vains fanto?mes, mais quÕa? pre?sent, plus pre?s de la re?alite? et tourne? vers des objets plus re?els, il voit plus juste ? Si, enfin, en lui montrant chacune des choses qui passent, on lÕoblige a? force de questions, a? dire ce que cÕest ? Ne penses-tu pas quÕil sera embarrasse?, et que les ombres quÕil voyait tout a? lÕheure lui parai?tront plus vraies que les objets quÕon lui montre maintenant ? Et si on le force a? regarder la lumie?re elle me?me, ses yeux nÕen seront-ils pas blesse?s? NÕen fuira-t-il pas la vue pour retourner aux choses quÕil peut regarder, et ne croira-t-il pas que ces dernie?res sont re?ellement plus distinctes que celles quÕon lui montre ? ?- Assure?ment !? Et si on lÕarrache de sa caverne par force, quÕon lui fasse gravir la monte?e rude et escarpe?e, et quÕon ne le la?che pas avant de lÕavoir trai?ne? jusquÕa? la lumie?re du soleil, ne souffrira-t-il pas vivement, et ne se plaindra-t-il pas de ces violences ? Et lorsquÕil sera parvenu a? la lumie?re, pourra-t-il, les yeux tout e?blouis par son e?clat, distinguer une seule des choses que maintenant nous appelons vraies ? ?- Il ne le pourra pas, du moins de?s lÕabord.? Il aura je pense besoin dÕhabitude pour voir les objets de la re?gion supe?rieure. DÕabord, ce seront les ombres quÕil distinguera le plus facilement, puis les images des hommes et des autres objets qui se refle?tent dans les eaux, ensuite les objets eux-me?mes. Apre?s cela, il pourra, affrontant la clarte? des astres et de la lune, contempler plus facilement pendant la nuit les corps ce?lestes et le ciel lui me?me, que pendant le jour le soleil et sa lumie?re. A la fin jÕimagine, ce sera le soleil Ð non ses vaines images re?fle?chies dans les eaux ou en quelque autre endroit Ð mais le soleil lui-me?me a? sa vraie place, quÕil pourra voir et contempler tel quÕil est.? - Ne?cessairement !? Apre?s cela, il en viendra a? conclure au sujet du soleil, que cÕest lui qui fait les saisons et les anne?es, qui gouverne tout dans le monde visible, et qui, dÕune certaine manie?re est la cause de tout ce quÕil voyait avec ses compagnons dans la caverne. Or donc, se souvenant de sa premie?re demeure, de la sagesse que lÕon y professe, et de ceux qui furent ses compagnons de captivite?, ne crois-tu pas quÕil se re?jouira du changement et plaindra ces derniers ? ?- Si, certes.? Et sÕils se de?cernaient entre eux louanges et honneurs, sÕils avaient des re?compenses pour celui qui saisissait de lÕÏil le plus vif le passage des ombres, qui se rappelait le mieux celles qui avaient coutume de venir les premie?res ou les dernie?res, ou de marcher ensemble, et qui par la? e?tait le plus habile a? deviner leur apparition, penses-tu que notre homme fu?t jaloux de ces distinctions, et quÕil porta?t envie a? ceux qui, parmi les prisonniers, sont honore?s et puissants ? Ou bien comme ce he?ros dÕHome?re, ne pre?fe?ra-t-il pas mille fois nÕe?tre quÕun valet de charrue, au service dÕun pauvre laboureur, et souffrir tout au monde pluto?t que de revenir a? ses anciennes illusions de vivre comme il vivait ?? - Je suis de ton avis, dit Glaucon, il pre?fe?rera tout souffrir pluto?t que de vivre de cette fac?on la?.? Imagine encore que cet homme redescende dans la caverne et aille sÕasseoir a? son ancienne place : nÕaura-t-il pas les yeux aveugle?s par les te?ne?bres en venant brusquement du plein soleil ? Et sÕil lui faut entrer de nouveau en compe?tition, pour juger ces ombres, avec les prisonniers qui nÕont point quitte? leurs chai?nes, dans le moment ou? sa vue est encore confuse et avant que ses yeux ne se soient remis (or lÕaccoutumance a? lÕobscurite? demandera un temps assez long), nÕappre?tera-t-il pas a? rire a? ses de?pens, et ne diront-ils pas quÕe?tant alle? la?-haut, il en est revenu avec la vue ruine?e, de sorte que ce nÕest me?me pas la peine dÕessayer dÕy monter? Et si quelquÕun tente de les de?lier et de les conduire en haut, et quÕils le puissent tenir en leurs mains et tuer, ne le tueront-ils pas ? ?- Sans aucun doute.? Maintenant, mon cher Glaucon, il faut appliquer point par point cette image a? ce que nous avons dit plus haut, comparer le monde que nous de?couvre la vue au se?jour de la prison et la lumie?re du feu qui lÕe?claire, a? la puissance du soleil. Quant a? la monte?e dans la re?gion supe?rieure et a? la contemplation de ses objets, si tu la conside?res comme lÕascension de lÕa?me vers le lieu intelligible, tu ne te tromperas pas sur ma pense?e, puisque aussi bien tu de?sires la connai?tre. Dieu sait si elle est vraie. Pour moi, telle est mon opinion : dans le monde intelligible, lÕide?e du bien est perc?ue la dernie?re et avec peine, mais on ne la peut percevoir sans conclure quÕelle est la cause de tout ce quÕil y a de droit et de beau en toutes choses; quÕelle a, dans le monde visible, engendre? la lumie?re et le souverain de la lumie?re; que dans le monde intelligible, cÕest elle-me?me qui est souveraine et dispense la ve?rite? et lÕintelligence; et quÕil faut la voir pour se conduire avec sagesse dans la vie prive?e et dans la vie publique.? - Je partage ton opinion, autant que je le puis.? - Eh bien ! partage-la? encore sur ce point, et ne tÕe?tonne pas que ceux qui se sont e?leve?s a? ces hauteurs ne veuillent plus sÕoccuper des affaires humaines, et que leurs a?mes aspirent sans cesse a? demeurer la?-haut. Mais quoi, penses-tu quÕil soit e?tonnant quÕun homme qui passe des contemplations divines aux mise?rables choses humaines ait mauvaise gra?ce et paraisse tout a? fait ridicule, lorsque, ayant encore la vue trouble?e et nÕe?tant pas suffisamment accoutume? aux te?ne?bres environnantes, il est oblige? dÕentrer en dispute, devant les tribunaux ou ailleurs, sur des ombres de justice ou sur les images qui projettent ces ombres, et de combattre les interpre?tations quÕen donnent ceux qui nÕont jamais vu la justice elle-me?me.. È