On se propose d’interroger à partir des morales antiques, le rapport de l’idéal d’une vie bonne avec un principe qu’on pourrait croire immanent à l’ordre même de la nature. La physis chez les grecs comme la Natura chez Lucrèce renvoie à un principe d’engendrement (naître, croître) à une tendance vers la réalisation d’une forme qui donne aux choses ou éléments de l’univers une stabilité et une régularité de fonctionnement. Mais aussi une forme d’unité qui rend compte en même temps de la singularité de chaque chose, de sa fonction pour parler comme Aristote et plus tard les stoïciens. Soumises au changement, cette tendance nécessaire conduit chaque chose à une fin (un télos) et la matière en tant que telle ne semble pas pouvoir produire d’elle même cette fin. Il lui faudrait recevoir cette fin d’une cause finale chez Aristote, d’un principe directeur chez les Stoïciens.
Pour le dire autrement, la tendance, naturelle, « recommande » l’homme à la vie rationnelle, et une fois que celle-ci est atteinte, elle révèle elle-même que la vie peut être conforme à la raison au-delà des différents biens qui font l’objet d’un choix réfléchi [Cicéron, Des fins des biens et des maux, III, 7, 23-25]. Mais la vie rationnelle découvre aussi qu’elle constitue une propriété essentielle de la nature de l’homme et qu’elle apparaît comme le « terme » de la tendance. À ce titre, vivre conformément à la raison revient à vivre « conformément à la Nature » et cet accord avec soi-même, cette harmonie (cohérence) qui enveloppe la volonté, procure à celui qui le réalise une satisfaction d’utilité supérieure à celle qui résulte de la simple action ordinaire utile de conservation de soi.
Or, c’est là une morale de satisfaction de soi, d’une amitié avec soi-même que critique Nietzsche à sa racine, c’est à dire, généalogiquement en sa naissance dans l’idée de Nature chez les Grecs. C’est donc cette connaissance de la Nature que nous interrogerons pour déterminer à quelles conditions il est possible aujourd’hui d’envisager une nouvelle éthique pour vivre non pas conformément à la Nature mais avec la Nature telle que la science moderne après Descartes nous l'a rendue compréhensible.
- Enseignant: Burillon Thomas