Le corps politique et et ses réfractaires
Ce cours, couplé avec un séminaire de recherche, sera consacré à l’élucidation d’une figure historique et philosophique, le réfractaire, inspirée du motif biblique de la « pierre rejetée par les bâtisseurs » devenue pierre angulaire, qui renvoie à la trajectoire de David puis du Christ. Ce motif à la fois théologico-politique et architectural ressurgit au fil de l’histoire des idées jusqu’à revenir sous la plume de Thomas Hobbes où au lieu d’être récupéré et même de fonder l’édifice social, l’individu réfractaire, tout comme la pierre impossible à polir, doit être purement et simplement rejeté parce qu’il contrevient à la loi naturelle de complaisance et d’accommodement (Léviathan, chap. XV). Tour à tour stigmate puis mot d’ordre revendiqué depuis tous les bords politiques en particulier au XVIIIe et au XIXe siècle, le réfractaire peut ainsi être vu comme l’envers de l’incorporation sociale et politique, non pas sous la forme subie d’une exclusion ou celle, négative, d’une désaffiliation, mais sous l’aspect actif et dynamique d’une résistance au jeu social. Nous évoquerons en nous appuyant notamment sur les travaux de Dominique Kalifa la constitution de modes d’être réfractaire au cœur des villes (Les bas-fonds, 2013) et, conjointement, les dispositifs d’éloignement et de défense dont la société s’est autrefois servie contre ceux qu’elle considère comme ses dangereux ennemis (Biribi, 2009). Supposant une analogie entre des conduites humaines et des propriétés matérielles, le concept de réfractaire vient s’opposer aux modèles contemporains de flexibilité, d’adaptation permanente ou encore de plasticité et se donne comme une entrave aux métabolismes sociaux, économiques et environnementaux. Les êtres réfractaires, individus et matériaux, travaillent ainsi en profondeur la viabilité du corps social et politique.
- Enseignant: Hervet Celine